La marchande de rubans
Un tableau peint par Emile Bernard vers 1888 et aujourd'hui conservé au Museum of Fine Arts de Gifu. Tableau vu lors de la rétrospective Emile Bernard au musée de l'Orangerie en septembre 2014.
Lorsqu’il peint La
marchande de rubans, aux alentours de 1888, Emile Bernard a la vingtaine.
Il touche alors déjà le sommet artistique de sa pourtant longue carrière. Deux
ans avant, en 1886, il avait rejoint Paul Gauguin et d’autres peintres dans le
village de Pont-Aven où ils inventèrent le symbolisme synthétique. C’est avec Les bretonnes dans la prairie peint en
juillet 1888 que Bernard crée cette peinture « synthétique » qu’il
recherchait depuis longtemps. Un tableau sans perspective, un collage de
souvenirs plus que la peinture d’une scène de vie particulière.
Emile Bernard - Les bretonnes dans la prairie |
Impressionné,
Gauguin s’inspirera fortement de la toile de son jeune ami pour réaliser le
très ressemblant Vision après le sermon
(ou la Lutte de Jacob avec l’Ange). Chef de file de cette école de
Pont-Aven, c’est naturellement à Gauguin que les critiques de l’époque
attribuent les éléments novateurs de cette peinture symboliste. Vexé de rester
dans l’ombre de Gauguin et de ne pas recevoir la part d’éloges qui lui incombe,
Emile Bernard va passer sa vie à ressasser cet épisode amer. Il quitte la
France pour Le Caire pour peindre des croutes orientalistes, puis imiter les
grands maîtres italiens en prônant le retour à l’ordre. Il renie ses tableaux
d’avant-garde et ne jure plus que par Titien ou Tintoret. A la fin de sa vie,
il sera même conseiller artistique sous Vichy et proposera une réforme radicale
de l’Académie des Arts. Triste trajectoire. Emile Bernard n’aura été brillant
artistiquement que quelques années, entre 1886 et 1892. Une comète dans
l’histoire de la peinture moderne.
Paul Gauguin - La vision après le sermon |
Pendant cette période d'une exceptionnelle richesse, Bernard peint cette magnifique Marchande de rubans. C’est une scène de
marché. Au premier plan nous voyons deux marchandes de tissu et des boules de laine
posées sur une table. Ces boules de laine sont des pommes de Cézanne, bleues,
vertes, jaunes ou rouges. Elles riment avec les poires vendues par une
marchande ambulante, autre référence cézanienne. Au second plan, la foule des
clients en habits traditionnels bretons. Élément particulièrement novateur et
remarquablement réalisé, les marchandes et la foule sont séparés par des bandes
de tissu qui flottent et coupent nettement le tableau et deux. Le tableau est
donc strié en plein centre par ces rubans multicolores, ce qui casse la
perspective et rapproche le tableau du synthétisme. Pourtant, la scène semble
plus réaliste que le collage de souvenirs des Bretones dans la prairie.
Le titre du tableau, La marchande de rubans, provient d’un contresens. La marchande
n’est pas cette femme nue-tête à la belle chevelure rousse debout
derrière les rubans, mais les deux bretonnes en bas à droite au premier plan.
La dame rousse est une cliente. En toute rigueur, ce tableau devrait s’appeler Les marchandes de tissu. Ces deux
bretonnes dans le coin inférieur droit du tableau représentent forcément un
clin d’œil de Bernard aux Bretonnes dans
la prairie et à La vision après le
sermon de Gauguin. La cliente au teint diaphane et aux cheveux de feu, point
central du tableau, est probablement Madeleine Bernard, sœur de l’artiste et
proche des peintres de l’école de Pont-Aven. A part Madeleine Bernard, deux
autres personnages du tableau ne sont pas en habits traditionnels bretons. Ce
sont deux hommes en canotier, qui encadrent Madeleine. On peut faire
l’hypothèse que ce sont Paul Gauguin et Charles Laval, amis proches des Bernard
à cette époque. Gauguin était d’ailleurs amoureux de Madeleine Bernard, mais elle lui
préféra Laval, avec qui elle partit en Egypte. Gauguin faisant souffrir Emile,
Madeleine faisant souffrir Gauguin. Amour, famille, trahison – Dallas à Pont-Aven.
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