3 Coeurs
Un film de Benôit Jacquot sorti en salles en 2014.
Note à moi-même – qui d’autre peut bien lire ces lignes
: ne jamais aller voir un film quand toute l’histoire est condensée dans la
bande annonce. Celle de 3 cœurs
m’avait pourtant plutôt donné envie. Le potentiel mélodramatique de l’histoire,
des acteurs sympathiques, une belle photographie et Benoît Jacquot. Nom un peu Totem
car je n’ai vu qu’un seul film de lui (Les
adieux à la Reine) et que je l’avais déjà trouvé sans relief. J’avais eu
exactement le même sentiment avec Dans la
maison de François Ozon. Un scénario malin, une bande annonce efficace et
un réalisateur français assez coté, ni adoré ni méprisé. Durant la séance,
patatras, j’avais trouvé le film nul. Rebelote avec 3 coeurs.
Le problème ne vient pas du scénario, qu’on pourrait
qualifier de peu réaliste mais qu’importe. J’étais prêt à y croire, à cette
histoire de contrôleur des impôts parisien qui tombe follement amoureux d’une
provinciale, la perd de vue puis se marie avec sa sœur quelques années après.
Cet homme qui aime deux sœurs simultanément comme dans Les anglaises et le continent de Truffaut. Ce choix entre la
passion et la raison, entre le coup de foudre et les convenances familiales
comme dans Two Lovers de James Gray,
voire La Jalousie de Philippe Garrel.
Je n’ai ressenti que longueur, ennui et énervement. La faute à une mise en
scène qui fait toujours les mauvais choix.
D’abord, la musique de Bruno Coulais, qui convoque un
orchestre pour ponctuer chaque rebondissement. Marc a raté son train, paaaam.
Marc rencontre une belle inconnue, paaaam. Marc hésite à monter l’escalier,
paaaaam. Marc regarde des photos des deux sœurs dans l’escalier, paaaam. A
coté, Wagner c’est de la légèreté. L’autre grande idée sonore du film est d’utiliser
une voix off, celle de Jacquot
semble-t-il, pour raconter des banalités.
Les dialogues ajoutent une couche de lourdeur au film. N’ayant
pas lu Marc Lévy ou Guillaume Musso, je doute que leurs dialogues soient pires
qu’ici. Par exemple, pendant la scène de rencontre entre Marc (Pooelvorde) et
Sophie (Mastroianni) on a droit à ce très beau trait d’esprit : Elle.
« - Je dis souvent je sais pas.
C’est comme ça, j’ai peu confiance en moi. » Lui : « - Moi
aussi, je dis souvent je sais pas.
C’est drôle. (..) Et ton père, il est où ? » Elle « Je sais pas.
Là, c’est vrai, je sais vraiment pas ». Rires. Il y a un autre grand
moment de finesse, lors de ce diner. Elle « - Sophie, ça veut dire sagesse
en grec, je ne suis pas très sage pourtant ». Lui « Peut être que la
vraie sagesse c’est de se rendre compte qu’on n’est pas très sage. » Du
cinéma d’auteur de grande qualité.
Plus tard dans le film, il y a une séquence complètement
ridicule, dans laquelle Benoît Jacquot découvre le texto comme arme dans une
relation adultérine. Bien qu’ils soient mariés depuis plus de cinq ans, Marc doit
subtiliser discrètement le téléphone de sa femme pour prendre le numéro de sa
sœur Sylvie, qu’il renomme S (finaud, le Marc). Puis, il se cache pour lui
envoyer un texto. Pendant de longues minutes, on a le droit à un échange de sms
où rien ne nous est épargné : la sonnerie du téléphone (personne ne
connait le mode vibreur dans le film), les doigts tremblants d’émotions pour
ouvrir le message, gros plan sur le message, les doigts tremblants à nouveau
pour répondre. Voila les messages envoyés au cours de ce fol épisode :
-
Je viens.
-
Quand ?
-
Maintenant ?
-
Oui.
Quittant le nid familial au beau milieu de la soirée, sans
prévenir, Marc reçoit à nouveau un texto, mais de sa femme cette fois :
-
T’es où ? Inquiète.
Il parait que le ridicule ne tue pas. Pas si sur, car c’est
quand même un ultime coup de téléphone qui terrassera Marc le cardiaque.
Car oui, Marc a des problèmes de cœur (la finesse,
toujours). C’est d’ailleurs à cause d’un infarctus qu’il a raté son rendez-vous
avec Sylvie. Dans une scène d’un mauvais gout certain, dans laquelle Jacquot a
besoin d’utiliser des chinois ne parlant pas français pour ouvrir un espace de
comédie dans le film, Marc fait un malaise. Serré dans sa cravate, Poelvoorde
transpire, s’agite, souffle, grimace… Il jouera à peu près de la même manière
la scène de désir sexuel lorsqu’il est dans la voiture avec Sylvie, qu’il
retrouve pour la première fois depuis si longtemps. Acteur pourtant sympathique
et parfois excellent, Poelvoorde ne fais pas exister Marc. Par exemple, lors de
la scène de mariage, ce n’est pas Marc que l’on voit hésitant et regardant la
porte en attendant Sylvie, mais Poelvoorde dans son rôle de clown triste et
grimaçant qu’il joue dans un film sur deux.
L’épisode du redressement fiscal du maire constitue une
autre maladresse scénaristique. D’abord parce que ces scènes semblent plaquer
dans le film sans que Jacquot n’ait de réel plaisir à les filmer. Surtout, par
ce qu’elles montrent implicitement. Finalement, ce n’est que par frustration
amoureuse, par confusion sentimentale, que Marc décide d’enquiquiner le notable
qui l’a marié. Ces inspecteurs des impôts y font qu’à nous embêter parce qu’y
sont pas heureux dans la vie, nous dit Jacquot. Le choix du contrôleur des
impôts comme un homme terne qui fait pleurer les pauvres dames qu’il prend dans
ses filets est plutôt douteux.
Pour finir sur une touche
positive, il y a deux scènes que j’ai trouvé très réussies. D’abord une scène
de repas – nombreuses dans le film. Sylvie (Charlotte Gainsbourg) revient des États-Unis
mais elle n’a pas encore retrouvé Marc. Attablé, il la dévore du regard,
toujours grimaçant. Elle fait tout pour éviter son regard. Jusqu’au moment où
leurs regards se croisent. Plus précisément, jusqu’au moment où Charlotte
Gainsbourg lance un regard caméra d’une telle intensité que ces poignées de
secondes sauvent presque le film. L’autre grand moment d’intensité, c’est une
rencontre nocturne sur Skype, entre Marc et Sylvie. Alors que j’avais trouvé la
scène Skype longue et embarrassante dans le Bird
People de Pascale Ferran, j’ai été bouleversé par la force de cette scène.
Ici encore, Charlotte Gainsbourg est impressionnante et Benoît Poelvoorde ne
tient pas la comparaison. Ces deux
regards enfiévrés de Charlotte Gainsbourg sont les atouts qui permettent à 3 cœurs de ne pas finir Fanny.
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