Dora Maar aux ongles verts.
Un tableau de Pablo Picasso peint en 1936 et aujourd’hui conservé au musée Berggruen de Berlin.
On a souvent caricaturé l’œuvre de Picasso en associant chaque
période artistique à une relation amoureuse. Ainsi, en 1935, alors qu’Olga
Kolkhova et lui se séparent, Picasso abandonne la peinture pour se consacrer à
son œuvre poétique. Quelques mois plus tard, en 1936, Picasso délaisse sa plume
et reprend ses pinceaux. Entre temps ? La tragédie de la guerre civile
espagnole, certes. Les espoirs et l’ébullition politique nés avec le Front
Populaire, certes. Mais aussi (surtout ?) la rencontre avec Dora Maar, au
café des Deux Magots en compagnie de Paul Éluard. Le coup de foudre. Leur
relation durera près de huit années. A partir de 1936, Dora deviendra le modèle
de nombreuses toiles, dans lesquelles Picasso révolutionnera une nouvelle fois sa
propre peinture. Les historiens de l’art appellent cette période celle des
Femmes assises et des Femmes au chapeau.
Si Dora Maar aux
ongles verts, peint en 1936, est probablement l’un des premiers portraits
de Dora Maar réalisés par Picasso, il est aussi l’un des plus sobres.
Les couleurs sont ternes, comparées aux portraits à venir. Arrière
plan gris, visage blanc et veston noir. On est loin de l’explosion de couleurs
des portraits futurs de Dora Maar, tels ce Buste
de femme de 1938 avec un arrière plan rouge vif ou Le chandail jaune de 1939 dans lequel Dora à une robe violette, un
chandail jaune et bleu roi et un chapeau multicolore. Dans Dora Maar aux ongles verts, les couleurs sont moins vives et peu
présentes. Il y a bien ce chemisier bleu et ce collier doré, mais leur éclat
est passé. Un œil est noir, l’autre marron, alors que Dora avait les yeux
bleus, et il résonne avec la chaise. La complémentarité entre le violet et le
vert donne le ton de ce tableau. Les paupières et la partie inférieure de la
bouche sont violets, la partie supérieure de la bouche et les ongles sont
verts. Ces deux couleurs sont seulement présentes par touches mais le regard
s’y accroche immédiatement. Ce vert qui colore le visage rappelle les portraits
de Kees Van Dongen, un temps proche de Picasso. Des ongles verts et quatre
doigts à chaque main. Dans ce portait, Picasso met en valeur les mains de Dora.
Selon la légende, il fut fasciné par ses gants lors de leur première rencontre
et les lui demanda en souvenir.
Cette économie de couleurs confère une atmosphère
mélancolique au tableau. Le regard se perd dans cet arrière plan d’un gris
hypnotisant. Ce visage blanc sur fond gris, réussite technique, accroit la
mélancolie. Dora Maar a déjà l’air de regretter le temps où leur amour était si
intense, alors que la relation ne dure que depuis quelques mois.
Par rapport aux portraits suivants Dora Maar aux ongles verts détonne également par la sobriété du
dessin. Le visage est net, presque réaliste. Seuls les yeux sont
disproportionnés, peut-être un clin d’œil à l’art de Dora, la photographie. Si
on compare à La femme qui pleure,
peint juste une année après en 1937, ou aux deux portraits précédemment cités,
la différence est flagrante. Dans tous ces portraits, le visage est
déstructuré, déformé, dans un style cubiste. Ici, seule la veste noire fait
penser à ce style. On peut faire l’hypothèse que Picasso a voulu d’abord
peindre un portait sensible et quasi réaliste de sa muse, avant de s’amuser à
le faire voler en éclat, comme tout fétichiste qu’il était.
Comparé aux autres portraits de Dora Maar, ce tableau
apporte un éclairage sur les débuts de leur relation amoureuse. La sérénité
qu’il procure est toute relative. Celle du calme avant la tempête.
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