Un condamné à mort s’est échappé ou Le vent souffle où il
veut
Un film de Robert Bresson sorti en salles en 1956.
Le film s’ouvre sur deux mains ouvertes, tremblantes. Des
doigts tâtonnent pour ouvrir une portière. Le geste est interrompu. La caméra passe
des mains au visage, on aperçoit Fontaine, puis vers d’autres mains, menottées
celles-ci. Dans cette scène, le lieutenant Fontaine, condamné à mort par
l’occupant nazi pour acte de résistance, tente de s’échapper de la voiture qui
l’emmène à la prison. Dès cette scène d’ouverture, les thèmes principaux du
film sont posés : la volonté farouche de s’échapper, l’importance des
mains et du travail manuel pour y arriver, la peur d’être pris et le courage de
tenter le coup, malgré tout. Vouée à l’échec, cette première tentative de fuite
illustre le fait que Fontaine ne se résignera pas. Quitte à se faire passer à
tabac, quitte à se faire fusiller. Vivre, c’est prendre le risque de mourir en
résistant.
A part cette magnifique première scène, le reste du film se
déroulera dans un huis-clos carcéral. Le film d’évasion est un classique du
cinéma, mais ici le titre du film écarte tout suspens – le condamné à mort s’est échappé. Toute l’originalité du
film de Bresson sera de montrer méticuleusement comment Fontaine aura échappé à
son funeste destin. Cette évasion sera montrée de manière quasi-documentaire, racontée
en voix-off, à la manière d’une activité
artisanale comme les autres. Dans l’économie formelle qui lui est propre,
Bresson filme de longues séquences, souvent en plan-fixes, de Fontaine
travaillant à son évasion. On le voit ainsi longuement utiliser une cuillère
limée pour desceller les planches de sa porte de cellule. De même, lorsqu’il
s’agit de faire une corde avec son sommier et ses draps ou des crochets avec sa
lampe. Cette évasion sera la métaphore de la condition productive de l’homme,
cet homo faber qui doit utiliser son
intelligence pour transformer le quotidien en outil et ses mains pour passer de
l’idée à l’objet. Le thème prométhéen de l’homme capable de sortir de sa
condition par le travail intellectuel et manuel est très présent dans le film.
Plutôt qu’à MacGyver on pense à la très belle scène de l’atelier de poterie filmée
par Kenji Mizoguchi dans Les contes de la
lune vague après la pluie.
A travers cette économie de moyens, Bresson apporte une
densité impressionnante à chacune des scènes. Même si nous savons que Fontaine
s’échappera, nous sommes fascinés par son travail, inquiets au moindre bruit de
pas en dehors de la cellule, anéantis à la moindre complication. Lorsque la
cuillère limée casse et reste coincée dans la porte, le film atteint un sommet
d’intensité. Ce simple plan, une cuillère figée dans une porte en bois, est une
image bouleversante. Image du courage et de la volonté de Fontaine, de la
difficulté de sa tâche et de la résistance.
S’échapper, pour reprendre sa vie, mais surtout pour lutter.
Ne pas se résigner face à la barbarie humaine. Ne jamais abandonner, comme d’autres
détenus peuvent le faire. L’évolution du vieil homme, voisin de cellule de
Fontaine, est à ce titre remarquable. Alors qu’il trouve vaine sa tentative d’évasion,
juste bonne à apporter des problèmes supplémentaires, il va progressivement y croire
et lui apporter un soutien amical. La solidarité, la camaraderie, la confiance
sont les seuls moyens de résister face à la barbarie. Ce n’est qu’en faisant
confiance à son nouveau codétenu, le jeune Jost, que Fontaine pourra réussir à
s’échapper.
Une scène est particulièrement mémorable. Les matons savent que les prisonniers correspondent par écrit. Ils annoncent une fouille des cellules de tous les prisonniers qui ne rendront pas volontairement leurs crayons. Fontaine sait qu'il doit éviter la fouille pour ne pas compromettre son plan d'évasion. Il se décide donc à donner son crayon aux surveillants. Pourtant, au moment où ces derniers lui demandent s'il a un crayon dans sa cellule, dans un réflexe de résistance, Fontaine cache son crayon dans son dos et refuse de rendre son crayon. Par ce simple geste, Bresson montre la puissance et le courage de Fontaine, sa volonté farouche de ne pas accepter l'inacceptable.
« Créer c’est
résister, résister c’est créer ». Telle pourrait être la devise de
Fontaine. Ne pas accepter la barbarie. Lutter, résister, s’échapper, pour vivre
certes, mais surtout pour rester un homme. Garder sa dignité. Le vent souffle où il veut, sous-titre mystérieux. Le vent de la liberté ? Que le vent se lève!
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